Quarante ans après les hippies, la vie en communauté suscite un regain d’intérêt. Mais selon de nouvelles modalités partager un même toit est vécu comme un enrichissement à condition de conserver une bonne part d’intimité. Les habitants de la Maison du Val, à Meudon, nous racontent leur quotidien plein de rebondissements, matériels et affectifs. Lorsque Béatrice et Jacques, la cinquantaine, visitent il y a quelques mois le bel appartement avec vue sur Meudon, en région parisienne, ils ont le coup de foudre. L’agence ne nous avait pas dit qu’il s’agissait d’un habitat collectif, racontent-ils. Cela ne nous a pas arrêtés, au contraire, nous étions plutôt curieux. » Ce que l’agence ne leur a pas dit non plus, c’est qu’ils achetaient aussi un mode de vie, dans un lieu qui fait référence pour les aspirants à la vie communautaire façon XXIe siècle. Nous nous sommes retrouvés propriétaires de notre logement individuel, ainsi que de deux cent cinquante mètres carrés de locaux collectifs un atelier de poterie, une salle de musique, un foyer pour dîner ensemble… » explique Béatrice. Au total, sept espaces communs conçus autrefois pour accueillir une crèche une vingtaine d’enfants ont grandi ici abritent aujourd’hui une chorale, des expositions artistiques, des cours de yoga, des concerts ou des débats publics. Les habitants gèrent tout eux-mêmes comptabilité, gestion et entretien des locaux. Nous avons décidé de jouer le jeu et de nous inscrire dans plusieurs commissions de travail pour faire tourner le syndic autogéré, en précisant que nous avions peu de temps libre », poursuit Béatrice. Rapidement, elle et Jacques ont été adoptés par le noyau historique du Val, et l’aventure enrichit leur quotidien d’une convivialité qui manque à de nombreux immeubles urbains ». S’accomplir dans le collectif L’histoire de la Maison du Val commence en 1980, à l’initiative d’une dizaine de familles liées par un socle de valeurs. J’étais très imprégné par le courant du personnalisme communautaire d’Emmanuel Mounier, confie Alain, jeune retraité, qui se définit comme un “catho de gauche”. J’avais cette conviction – je l’ai toujours – que l’on s’accomplit mieux dans le collectif. » Catherine, une voisine d’Alain, se souvient Quand nous sommes arrivés ici, nous avions 38-40 ans. En bons soixante-huitards, certains d’entre nous avaient déjà fait l’expérience de la vie en communauté. Nous voulions en retrouver quelque chose, mais pas tout. Il était devenu important d’avoir notre propre espace. » Ensemble, mais chacun chez soi », il fallait incarner ce projet dans une architecture sur mesure. D’autant que nous avions tous des envies très différentes en termes d’aménagement intérieur, se rappelle Alain. Il n’y a pas deux salles de bains l’une au-dessus de l’autre, un vrai casse-tête de plomberie ! Il fallait aussi s’entendre sur la fonction des espaces collectifs, leur volume, leur emplacement… Un architecte a planché sur le projet pendant dix-huit mois, après nous avoir longuement consultés sur nos modes de vie. Il s’est arraché les cheveux, mais a fi ni par trouver un bon compromis ! » Au bout de douze mois de construction, le lieu prend corps. Côté rue, c’est un immeuble discret recouvert de crépi blanc. Il faut aller côté jardin pour percevoir toute l’originalité de cet assemblage de briques, de baies vitrées et de balcons de bois en cascade, autour d’une pelouse agrémentée de tables et de balançoires. Jusqu’où partager ? Pour Alain, Catherine et les autres, il ne s’agissait pas seulement de partager un toit avec des copains les premiers habitants se connaissaient d’ailleurs peu mais de faire vivre un concept d’habitat autogéré, où chacun vivrait chez soi dans une vie ouverte sur le groupe et sur l’extérieur », la commune de Meudon. La greffe n’a pas pris aussi facilement que nous le pensions, confie Catherine. Nous arrivions dans un vieux quartier dont la culture était différente de la nôtre. » Le temps aidant, pourtant, des échanges se sont créés avec les habitants des alentours, soulevant régulièrement des questions Le lieu était très attrayantpour les copains de nos enfants, raconte Catherine. Parfois, les nôtres arrivaient en disant qu’ils ne pouvaient pas jouer au ping-pong parce que la table était utilisée par des gamins de l ’extérieur. Être ouverts aux autres, c’était ce que nous avions voulu. Mais au quotidien, ce n’était pas toujours simple. » Plus récemment, cette philosophie de partage a été remise en cause par la hausse du coût de la vie. Alain Depuis des années, nous accueillons des quartettes de jazz dans nos locaux. Les charges augmentant, certains d’entre nous parlent de demander une contribution financière, mais cela irait à l’encontre de l’esprit que nous avons toujours cultivé. » Vouloir s’entendre, toujours Près de trente ans après les débuts de la Maison, la vie en communauté, sans être remise en cause dans son principe, continue de susciter des débats houleux. L’autre soir, au cours d’une discussion, on s’est un peu énervés, reprend Alain. Quand je soutenais “Les espaces communs, c’est chez moi, avec vous !”, d’autres me répondaient “Tu es gentil, mais c’est d’abord chez nous !” Nous continuons de chercher comment ajuster nos désirs individuels et l’intérêt général, et d’échanger nos points de vue sur le style de vie que nous voulons développer. » C’est incroyable comme l’on peut s’engueuler à la Maison du Val, sans que cela ait de conséquence sur l’affection profonde que les habitants se portent », s’amuse Béatrice, qui découvre depuis peu ces discussions dans lesquelles nous ne cessons jamais de chercher à nous comprendre et à trouver un terrain d’entente », assure Alain. Malgré cette liberté de ton, il y a curieusement des sujets que l’on évite, comme la politique, regrette Catherine. C’est peut-être ce qui nous rapproche d’une famille, dans laquelle on ne parle pas de certaines choses, pour préserver les liens ». Éducation ou coéducation ? Autre motif de conflit l’éducation des enfants. Entre les parents laxistes », qui laissent jouer leurs enfants dans le jardin jusqu’à tard le soir, et ceux qui exigent un horaire précis et des devoirs nickel, la palette est large. C’était rassurant de comparer les modes éducatifs des uns et des autres, analyse Juliette, qui a passé son adolescence à la Maison du Val. Cela nous permettait de relativiser les jugements que nous portions sur nos propres parents. Mais il fallait s’adapter au groupe d’enfants, et ce n’était pas toujours facile. » Nous étions très libres, complète Jérémie, ex-enfant du Val lui aussi. Mais il fallait prendre ses repères, comprendre le fonctionnement du groupe d’adultes et de celui des enfants. » Les projets des premiers ne coïncidaient d’ailleurs pas forcément avec ceux des seconds. Ils ont par exemple refusé l’idée de salle de bains commune que nous, parents, avions prévue entre les chambres d’enfants d’appartements mitoyens, indique Alain. En revanche, ils allaient parfois se servir dans les armoires des autres. Et quand ils se querellaient à ce sujet, ils ne disaient pas “Tu aurais dû me demander”, mais “Tu aurais pu le laver avant de me le rendre !” Preuve que le principe du partage n’était pas un problème… » Catherine À table, il y avait toujours un ou deux enfants en plus des nôtres. C’était parfois lourd, mais, à y repenser, c’était une vraie richesse pour eux qui avaient plusieurs adultes référents, et pour nous qui avions beaucoup d’enfants à aimer ! » Vieillir à plusieurs Si la vie à la Maison du Val a changé avec les années – les enfants sont partis, les parents arrivent à l’âge de la retraite –, l’esprit communautaire souffle toujours. Les commissions de travail nous maintiennent dans une dynamique collective, mais pas seulement, observe Alain. Nous sommes unis par des liens aff ectifs très forts, quelque part entre les liens amicaux et les liens familiaux. » Le dîner mensuel autour de la table du foyer reste un rituel fort. Ainsi que les vacances ensemble, de temps à autre, dans notre maison du sud de la France », révèle-t-il. Parmi les enfants qui ont grandi ici, aucun n’a reproduit le schéma de la vie collective, sauf Juliette, revenue vivre à Meudon après son divorce. Mon fils a fait un tour de France des communautés, mais il n’a pas franchi le pas, constate Catherine. Quant à moi, après des années magnifiques, je commence à avoir envie de vivre ailleurs, mais pas autrement. » Avec son mari, ils sont à la recherche d’un terrain sur lequel bâtir un habitat écolo, intergénérationnel, sans escaliers, plus petit, plus près des commerces, pour préparer notre “vie plus tard” pas trop tard ». En habitat autogéré, toujours J’ai travaillé dans une école autogérée, je suis impliquée dans un mouvement politique “hors parti”, donc autogéré… Le collectif, j’y crois plus que jamais ! » Béatrice, elle, s’est laissé séduire On peut vraiment compter sur les autres sans se sentir envahis. Chacun a conservé le sens de l’intérêt particulier, mais l’inscrit toujours dans l’intérêt collectif. » Une formule qui monte Séduits par le concept d’habitat collectif, de nombreux candidats à la propriété sont tentés par l’aventure. Un peu partout en France, des groupes intergénérationnels se forment et recherchent des terrains pour faire construire ensemble. D’autres projets naissent d’une opportunité immobilière et recrutent des candidats » parpetites annonces ou bouche-à-oreille. D’autres encore rejoignent l’un des écoquartiers en cours de construction… Des associations projets et renseignent sur les démarches administratives ou juridiques nécessaires. Les revues Passerelle éco ou La Maison écologique se font aussi régulièrement le relais de ces initiatives. Pour aller plus loin En savoir plus Il ne faut pas trop attendre du groupe L'avis de l'expert Marthe Marandola, médiatrice et formatrice en relations humaines La clé, c’est d’avoir des modes de vie approchants. Au-delà de l’âge ou des origines, ce sont nos gestes quotidiens qui révèlent nos valeurs et notre personnalité. Quand ces gestes sont compatibles, la vie commune est possible. Mais si certains ne respectent pas les autres – le bruit est révélateur –, cela devient vite invivable, même entre amis. L’important est de créer un voisinage bienveillant. S’il y a de l’amitié en plus, tant mieux, mais il ne faut pas trop attendre du groupe, ce n’est pas une seconde famille. L’habitat collectif ne convient pas aux personnalités trop rigides et peu enclines au dialogue !» Marthe Marandola est auteure, avec Geneviève Lefebvre, de Cohabiter pour vivre mieux. Voir aussi leur site Pour aller plus loin A lire Vivre ensemble autrement de Pascale d’Erm, photographies de Patrick Lazic Qu’est-ce qui motive ceux qui ont franchi le pas », quelles sont les joies et les contraintes du vivre-ensemble » ? Le récit de six initiatives réussies, de l’Italie aux Cévennes, préfacépar le philosophe Pierre Rabhi Éditions Ulmer, 2009.

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